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La question de la transformation digitale des entreprises camerounaises

Les 6 et 7 février, j’ai participé au #DoualaDigitalStory. Une rencontre qui se déroulait, comme son nom l’indique, à Douala, la capitale économique du Cameroun. Pour sa première édition, l’initiative a fait la part belle au cheminement des entreprises camerounaises dans leur processus d’adoption du numérique.

Avant d’entrer dans le fond du sujet, je vais commencer par un petit commentaire sur l’événement à proprement parler. Lequel a joui de la présence d’intervenants de qualité. Les problématiques liées à la transformation digitale des entreprises ont été largement abordées. Néanmoins, mon avis personnel est que l’enjeu est stratégique pour les moyennes et grandes entreprises. Alors, elles méritent qu’on leur consacre entièrement une rencontre sur cette thématique précise. Aussi, j’ai été quelque peu déçu du fait qu’autant de place ait été donnée à la thématique de la start-up (qui a été l’objet d’une panel de discussion, d’une présentation d’application et d’un concours). Il aurait par exemple été plus intéressant de ressortir leur rôle de support aux autres entreprises souhaitant adopter des solutions digitales. La start-up ne connaît pas les tribulations de l’entreprise traditionnelle face au numérique, car la start-up est digitale par nature.

L’état des lieux de la digitalisation des entreprises

Dans un contexte où les statistiques ne sont pas toujours disponibles, où les données, les rapports d’activité et les résultats en fin d’exercice ne sont pas divulgués par les entreprises, il est bien difficile de dresser un état des lieux sincère et fiable de l’adoption des outils numériques. Les observateurs, bien souvent, se cantonnent à analyser ce qui leur parvient à l’issue de leurs interactions avec telle ou telle unité. Pour le cas présent, je vais prendre l’exemple de deux entreprises (Eneo et la CNPS) qui ont résolument pris le chemin de la modernisation de leurs relations avec le client ou l’usager. Je prendrai l’exemple du Lycée aussi, qui s’est mis au numérique, pour le bonheur des parents d’élèves.

Eneo, la CNPS et le lycée : trois bons élèves

Ce sont des intervenants de trois secteurs d’activité qui sont au cœur de la vie des citoyens de tous les pays du monde : l’électricité, la sécurité sociale et l’éducation.

Eneo est le principal fournisseur d’électricité du Cameroun. C’est une entreprise, jadis nationale, qui a été privatisée en 2001. Depuis quelques années, elle s’est engagée dans un processus de dématérialisation dont les bénéfices se font sentir dans le quotidien des Camerounais. Il est aujourd’hui possible pour les abonnés de la société de passer plusieurs années (jusqu’à trois, pour mon cas) sans mettre les pieds dans une agence pour des opérations courantes, comme le basique payement des factures ou la demande de renseignements. Tout est faisable depuis un site Internet que l’entreprise a voulu centré sur le client. La plupart des interactions avec l’entreprise est dorénavant possible via une interface numérique. Elle a aussi été l’une des premières entreprises à permettre le payement des factures via la banque mobile (plus connue sous le nom mobile money). Soulageant ainsi ses clients du calvaire que constituait le payement de ces factures en agence, pour lequel était courant de passer toute une journée. Aujourd’hui, depuis son téléphone, en quelques secondes, le tour est joué.

Capture d’écran de My Easy Light, le site web clients d’Eneo

La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) est la société publique camerounaise qui a la charge de gérer la solidarité sociale. De ce fait, elle s’occupe des prestations familiales, des pensions vieillesse, d’invalidité et de décès, des risques professionnels. Elle est l’une des rares entreprises publiques camerounaises qui s’est engagée dans la promotion tous azimuts de la digitalisation de ses services. Ce qu’elle a tout intérêt à faire, car, jusqu’à il y a peu, elle était perçue comme étant une institution inhumaine. Sa mission est de s’occuper des plus vulnérables et le traitement à eux délivré lorsqu’ils sollicitaient la CNPS était très critiqué. Dans sa communication actuelle, l’entreprise garantit que son processus de digitalisation est abouti et les usagers n’ont plus qu’à utiliser leur mobile ou à se connecter au site web pour s’immatriculer, pour avoir l’état de leur statut, pour faire leurs déclarations, etc.

À lire : Qu’en est-il de la transformation numérique de la société ?

De manière périodique, je reçois par SMS des informations qui me sont transmises par le lycée que fréquente ma nièce. Parmi ces informations arrivent en bonne place les notes. Et lorsque le bulletin de notes arrive, sa présentation et sa mise en page de type tableur laissent entrevoir un traitement informatique. Loin du livret que chaque enseignant remplissait au stylo à bille il y a encore quelques années. Le souci est que le lycée, depuis plusieurs années, n’a pas organisé de réunion de parents d’élèves. De ce fait, il est impossible de l’interroger sur la manière dont les notes sont traitées. Encore moins sur les changements des méthodes de travail des enseignants face à la nécessaire informatisation des pratiques.

Le game-changing tool : mobile money

Ce n’est un secret pour personne : la bancarisation en Afrique est peu élevée (15% en 2018). De l’autre côté, les taux de pénétration de la téléphonie frisent les 100%. La banque mobile, ou mobile money, a eu un effet sans précédent sur l’inclusion financière sur le continent. Selon un rapport de la GSM Association, près de 60% des adultes ont un compte mobile money en Afrique. Les opérateurs mobile travaillent étroitement avec les développeurs d’applications et avec les marchands, afin qu’ils se servent correctement de leur interface de programmation (ou API) pour développer leur activité.

Les frais de scolarité au lycée sont aujourd’hui payables exclusivement par mobile money (du moins, en ce qui concerne celui de ma nièce), les factures d’électricité le sont aussi. Tout comme l’achat des noms de domaine, les courses dans les commerces, les factures à l’hôpital et une infinité d’autres opérations. Les entreprises commerciales ne peuvent envisager un minimum de transition digitale sans s’adjoindre les services de la banque mobile.

Crédit photo : Rosenfeld Media, via Creative Commons Attribution 2.0

Quid de l’incidence de la digitalisation sur les fonctions de l’entreprise ?

Dans une entreprise, les fonctions correspondent à l’ensemble des tâches à effectuer pour atteindre un objectif. La question à laquelle j’ai toujours cherché – et jamais trouvé – une réponse lors des communications de ces organisations est la suivante : à quels changements dans leur fonctionnement ces organisations ont-t-elles dû se plier afin de rendre effectif leur transformation ?

Il va sans dire que les manières de faire dans les fonctions administrative, logistique, commerciale, financière et la production ont dû se départir des vieilles méthodes pour adopter les nouvelles manières de travailler. Cela ne s’est pas fait sans conséquences et même sans certaines pesanteurs. L’entreprise concernée a sans doute dû évoluer. Je trouve que les acteurs du domaine ne doivent plus se focaliser uniquement sur les bénéfices de la digitalisation pour l’usager ou le client. L’arrière-boutique, le back-office intéressent aussi.

Yolande ENAMA on Twitter: “Avant d’aller vers une transformation digitale, bien définir ses objectifs (mesurables bien sûr), utiliser des outils en fonction du contexte de l’entreprise et inculquer aux employés la culture du numérique #DoualaDigitalStory / Twitter”

Avant d’aller vers une transformation digitale, bien définir ses objectifs (mesurables bien sûr), utiliser des outils en fonction du contexte de l’entreprise et inculquer aux employés la culture du numérique #DoualaDigitalStory

Le rôle de l’État

“L’administration, qui est la première entreprise du pays, doit être la locomotive de l’adoption des innovations et du digital.”

– Un participant au Douala Digital Story

L’État doit pouvoir mettre en place tous les mécanismes sur les plans législatif, réglementaire, judiciaire et administratif pour permettre le développement de l’économie numérique que le gouvernement appelle de tous ses vœux. Mais cela ne doit pas se limiter à inciter les initiatives privées à s’y investir. L’État, par ses nombreux ministères, agences et organismes, doit montrer la marche à suivre. En dehors de quelques rares initiatives (comme la procédure d’obtention de la carte grise automobile), l’administration publique camerounaise n’est pas investie dans le processus de sa digitalisation.

La quasi-totalité des démarches demandent encore de se déplacer au sein des administrations. Alors qu’il est de plus en plus aisé de construire des plateformes numériques qui permettraient de simplifier les formalités et de désengorger les administrations.

La digitalisation de l’administration pourrait avoir un autre bénéfice : la réduction de la corruption, par l’annulation des intermédiaires. Alors, plus besoin de laisser des pots-de-vin à chaque étape du parcours. En outre, les payements ne sont plus effectués en espèces chez un agent, avec les risques de détournement que cela comporte, mais directement dans les caisses du Trésor public, via un dépôt mobile money.

Image d’en-tête : René Jackson Nkowa

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