Quand l’appareil photo est persona non grata.
Au hasard d’un pas de côté, j’avais trouvé le bon angle, qui me donnait à la fois la possibilité de jouer avec la perspective offerte par les formes très géométriques des immeubles et avec la profondeur de la rue qui arrivait juste en face de moi. J’ai porté l’appareil à mon visage et collé mon œil au viseur, quand j’ai senti une main m’agripper l’épaule, puis me retourner. Je me suis alors retrouvé face à un jeune homme d’une vingtaine d’années, le regard absolument mauvais, qui m’a demandé à plusieurs reprises: « Tu filmes quoi ? » Sa dégaine m’a vite fait comprendre qu’il n’était pas là pour discuter et que je risquais clairement de perdre mon appareil acquis à prix d’or. Je l’ai rangé, je me suis éloigné, puis en jetant un regard en arrière, j’ai vu le garçon retourner à sa tâche qui était celle de laver les voitures.
Cette photo manquée, je l’ai toujours en travers de la gorge.
La scène qui précède s’est déroulée à Douala. Il y a quelques années à Yaoundé, toujours au Cameroun, je me suis retrouvé presque sequestré dans un centre sportif et deux jours après, j’ai été brièvement interpellé par la police. La raison à chaque fois: j’avais été surpris en train de faire des photos. Des photos des bâtiments, fixées depuis la rue. Des péripéties similaires me sont arrivées à Abidjan (Côté d’Ivoire) et à Antananarivo (Madagascar).
Depuis plusieurs années, je rédige pour le web. Et dans la mise en forme des publications, l’image est un élément capital. Et quasi systématiquement, je me retrouve face à un mur : celui de la rareté des photos de qualité représentant les villes africaines. Après des années passées à écumer les réseaux sociaux, les banques d’images gratuites ou payantes, la pauvreté de la représentation des cités africaines est frappante. Il y a, certes, des photos de qualité, mais prises grand angle, en mode carte postale. Rarement des photos captant des scènes précises de la vie quotidienne.
Cet état de fait peut se justifier par une absence de matériel de qualité et par un nombre limité de vrais artistes photo. Mais une partie, loin d’être négligeable, de l’explication à cette pénurie se trouve dans l’attitude des gens dans les lieux publics face à un appareil photo, surtout quand celui-ci a l’air plus ou moins professionnel (un reflex, par exemple). Une explication qui tient en un mot : la suspicion.
Chacune de mes sorties photo dans la ville de Douala a été perturbée par un quidam (parfois un simple passant) voulant savoir ce que je filmais et pourquoi je le faisais. Souvent, je suis passé très près de me faire endommager mon matériel.
Dans ce travail (ou loisir), les droits à l’image, les droits d’auteur (des œuvres photographiées), les différentes réglémentations liées à la reproduction de l’image des édifices, les éventuelles autorisations qu’il faut obtenir, les photographes plus ou moins les ont à l’esprit. Mais il doivent capituler quand ils se retrouvent face à l’animosité ou à la dangerosité de leur environnement. Ce qui est profondément dommage car la plupart de ceux qui se baladent avec des appareils photo ne veulent porter atteinte à la sûreté de qui que ce soit. Ce sont juste des artistes ou des amateurs qui veulent saisir la beauté des lieux et quelques fois des personnes.