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Covid-19 et réseaux sociaux : pourquoi le gouvernement du Cameroun doit prendre exemple sur son Ministre de la Santé Publique

Depuis l’avènement du SARS-CoV-2, le Ministre Camerounais de la Santé Publique jouit d’une excellente côte de popularité au sein de l’opinion. Le Dr Malachie Manaouda s’est attiré les bonnes grâces des Camerounais inquiets en s’appropriant les codes de l’application Twitter.

Le contexte

Suite au réaménagement gouvernemental intervenu le 04 janvier 2019, Malachie Manaouda est nommé au poste de Ministre de la Santé Publique du Cameroun. L’homme, titulaire d’un PhD, est passé par l’école d’administration du Cameroun et par le Canada, où il a été formé à la gouvernance des pays en développement. Il a ensuite occupé divers postes de responsabilité dans le gouvernement et à la présidence du Cameroun. Au moment où le Ministère de la Santé Publique lui est confié, il est âgé de 45 ans (sa bio).

Dans les jours suivant cette nomination, le jeune ministre se démarque rapidement : il fait de Twitter le bras armé de sa prise de parole publique. Et bien lui en prend, car il tire le parti de cet outil de la communication transversale par excellence.

Longtemps accusé de « diriger par l’embuscade », il a, à de multiples reprises, provoqué l’ire du personnel médical camerounais en effectuant des descentes inopinées dans les centres de soins dans plusieurs régions du pays. Mettant ainsi au rebut la vieille pratique qui voulait que les visites ministérielles soient préparées à l’avance. La légende veut même qu’il ait visité un hôpital incognito, le personnel ne reconnaissant pas leur ministre de tutelle. Il relate lui-même, en temps réel ces interventions et les décisions prises à leur suite (des sanctions, souvent) sur son compte sur Twitter. S’attirant ainsi la sympathie de nombreux twittos Camerounais.

Le Covid-19 et les ministres de la santé

La pandémie du nouveau coronavirus met naturellement les ministres de la santé en première ligne de l’action des gouvernements partout dans le monde. Celui du Cameroun n’est pas en reste et réagit de la manière qui plaît. Saisie par les informations faisant état de la létalité rapide de la maladie, de sa vitesse de propagation et par sa capacité à mettre à genoux les Etats les uns après les autres, l’opinion publique Camerounaise a besoin d’être informée et le ministre le fait. Il publie son premier tweet sur la question le 25 janvier 2020.

Et annonce le premier cas de contamination au Cameroun 41 jours après, le 06 mars.

Depuis, il publie quotidiennement sur Twitter données, recommandations et conseils concernant la pandémie au Cameroun et dans le monde. Démontant au passage quelques fausses informations. Lesquelles publications sont partagées sur les autres réseaux sociaux et reprises par les médias traditionnels.

Les réseaux sociaux au Cameroun

Dans leur rapport 2020 sur l’utilisation d’Internet dans le monde, Hootsuite et WeAreSocial indiquent que 7,87 millions de personnes sont connectées à Internet au Cameroun (taux de pénétration de 30%). Ce rapport estime à 110.000 le nombre de comptes Twitter en activité dans le pays. Si les statistiques globales sont appliquées au pays, alors 84.700 twittos se connectent au moins une fois chaque semaine au Cameroun. Ce chiffre, mis en face de la population (26 millions) ne pèse guère lourd. Mais le potentiel de viralité propre à ce réseau social change la donne.

https://datareportal.com/reports/digital-2020-cameroon

Plus loin, 3,7 millions de Camerounais (14% de la population) utilisent les réseaux sociaux. Connaissant la caisse de résonance que peuvent représenter Facebook et surtout WhatsApp, qui sont devenus les d’importantes sources d’information de la population, le gouvernement doit s’investir de manière urgente sur ces outils. Au risque le cas contraire de devenir inaudible pour un large pan de ceux qu’ils dirigent.

Petit précis de la communication gouvernementale en temps de crise et de prééminence des réseaux sociaux

L’avènement de l’Internet 2.0 a démoli les frontières qui séparaient jadis les personnalités publiques (célébrités, hommes d’affaires, politiques) de leurs admirateurs et détracteurs. Auparavant, pour parler à une personne en vue, il fallait envoyer un courrier dont on ne savait souvent pas s’il était parvenu à bon port. La seule interface numérique était le site web officiel, qui n’améliorait pas beaucoup la qualité des interactions. Aujourd’hui, un quidam peut interpeller directement n’importe quelle personnalité sur Facebook ou sur Twitter. Laquelle est presque tenue de répondre. En termes de communication politique, l’oiseau bleu avait déjà pris une envergure notable avec son adoption par le président Américain Barack Obama. Son successeur Donald Trump en a fait l’acmé de son action présidentielle.

Les citoyens ont désormais besoin de réponses. En temps de crise, ils en font l’injonction. Ils posent leurs questions sur les réseaux sociaux. Et les gouvernements doivent être alertes sur le sujet, car en l’absence de réponses et d’éclaircissements en temps réel de leur part, toutes sortes de théories naissent et se propagent. Avec les réseaux sociaux, les responsables de tous bords doivent apprendre à être réactifs et précis dans leurs interventions. De préférence sur les réseaux sociaux.

Pourquoi ça marche avec le Ministre de la Santé Publique

A l’instar de Malachie Manaouda, le responsable gouvernemental camerounais doit appliquer certaines mesures pour bien faire comprendre son action au jour le jour. Et se débarrasser du même coup des oripeaux dont ses collègues et lui sont couverts par l’opinion, verbalisés par l’expression : « Ces ministres ne servent jamais à rien ».

  • Créez un compte personnel : qui s’intéresse aux comptes de la présidence du Cameroun, de la Maison Blanche ou de ceux de l’Elysée ? Pas grand monde. Ceci pour deux raisons : le ton formel et leur caractère impersonnel. Pourtant, les comptes personnels de ces présidents sont courus. Il ne s’agit plus ici de la parole de l’institution, mais directement de celui qui l’incarne : celle du Président. A côté du compte de votre ministère, créez le vôtre. Et faites-le connaître.
  • Renseignez-le correctement : votre nom et votre prénom, tel qu’ils sont couramment utilisés. Et votre titre.
  • Alimentez-le : il ne suffit pas de dire que vous êtes un ministre connecté. Soyez-le vraiment. Connectez-vous à votre compte. Ne rien publier pendant des semaines est tout, sauf sérieux.
  • Dites ce que vous faites au quotidien, montrez à ceux qui payent votre villa, vos gardes du corps, votre personnel de maison, vos vacances et votre voiture de fonction que vous servez effectivement à quelque chose.
  • Démontez les fausses informations : qu’elles concernent le gouvernement dans son entièreté ou alors votre domaine de compétence. Mais pour pouvoir démonter des fausses informations, il faut que vous soyez aux courant d’elles. Investissez-vous personnellement à les débusquer.
  • Vous êtes sur les réseaux sociaux. Si vous voulez vous attirer la sympathie des internautes, touchez-les au cœur, montrez-leur que vous êtes proches d’eux, que vous vivez leur quotidien. Que vous n’êtes pas confiné dans votre tour d’ivoire.

  • Si vous voulez qu’ils vous aiment, répondez-leur directement quand ils vous écrivent directement. Et surtout, évitez d’être vaseux, en enfermant votre propos dans le jargon, le langage pompeux, dont personne ne veut sur les réseaux sociaux. Les invectives sont proscrites. Les insultes aussi. Si vous êtes du genre sensible, mettez un tampon (in extenso : recrutez un gestionnaire des réseaux sociaux qui se chargera de la modération sur votre compte et de vos publications).
  • Évitez de manipuler les fichiers, notamment les images. C’est toujours plus grave pour un officiel que pour un individu lambda d’être pris la main dans le sac de Photoshop. Et dites-vous bien que derrière chaque smartphone se trouve potentiellement quelqu’un qui va vérifier la véracité de l’information que vous diffusez.
  • Évitez de faire de votre compte personnel un outil de propagande consacré à la gloire de qui vous a nommé. N’oubliez pas que la population est jeune, éduquée (surtout sur Twitter) et donc susceptible de faire des crises d’urticaire si vous y répétez les pratiques séculaires qui l’a éloignée de la télévision et de la radio.

Au niveau de l’ensemble du gouvernement

Il faut établir une politique globale de communication du gouvernement. Le Premier Ministre doit rédiger et remettre à chaque ministre un code de bonne conduite sur les réseaux sociaux. Quand un ministre dit un mot, c’est l’ensemble du gouvernement qui s’exprime par son entremise. C’est le principe de la solidarité ministérielle. En outre cette politique globale évitera que certains ministres prennent la mouche parce que leurs collègues qui manipulent mieux les outils numériques attirent à eux toute la lumière.

Les comptes des membres du gouvernement doivent si possible être certifiés ou sinon reconnus comme tels par un service centralisé dudit gouvernement qui les répertorie tous et les met à la disposition de tous ceux qui les demandent.

Aussi, les communiqués imprimés, signés, tamponnés, photographiés et publiés sur les réseaux sociaux : NON ! Arrêtez ça ! Soit vous scannez le document en bonne et due forme, soit vous en donnez la substance. Vous êtes le ministre : pour être crédible, vous n’avez pas besoin de montrer que vous avez signé au stylo sur un papier de format A4.

The last but not de least : votre ministère doit disposer d’un site web respectant les canons les plus récents en termes d’accessibilité, de clarté, d’ergonomie et de sécurité. En plus, il doit être mis à jour en temps réel. Pour la confiance de l’internaute, il est impératif d’unifier la charte graphique de l’ensemble des sites Internet gouvernementaux.

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Ces conseils valent autant pour le gouvernement et ses membres que pour les autres responsables publics (directeurs d’établissements, d’entreprises, maires, députés, etc) et pour toutes les personnalités de premier plan.

Image d’illustration par Fusion Medical Animation via Unsplash

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